Tentative de définition technique.
A l'opposé du XML, qui est une norme technique, à l'origine notamment des flux RSS, le Web 2.0 n'est pas un standard technique au sens strict. Il s'agit plutôt d'un regroupement de principe d'utilisation, d'usage de technologies existantes, de tendances.
Les amis de Wikipédia nous racontent :
"Web 2.0 est un terme souvent utilisé pour désigner ce qui est perçu comme une transition importante du World Wide Web, passant d'une collection de sites web à une plateforme informatique à part entière, fournissant des applications web aux utilisateurs. Les défenseurs de ce point de vue soutiennent que les services du Web 2.0 remplaceront progressivement les applications de bureau traditionnelles."
Les Wikinautes nous renseignent également sur l'origine du terme :
"Le terme a été inventé par DaleDougherty de la société O'Reilly_Media lors d'un brainstorming avec Craig Cline de MediaLive pour développer des idées pour une conférence conjointe. Il a suggéré que le Web était dans une période de renaissance, avec un changement de règles et une évolution des business model."
Avant de poursuivre avec des exemples illustrant la différence entre « Web 1.0 » et Web 2.0 :
"DoubleClick, c'était le Web 1.0 ; Google AdSense, c'est le Web 2.0. Ofoto, c'était le Web 1.0 ; Flickr, c'est le Web 2.0."
Une des caractéristiques majeures du Web 2.0 est d'être accessible à toutes les versions relativement récentes des navigateurs actuels, ce qui faisait dire à Mike Shaver dans sa présentation d'ouverture de XTech 2005 que "le Web 2.0 n'est pas un « big bang » mais une succession de « small bangs »" .
Bridé par le parc de navigateurs installés, le Web 2.0 s'appuie donc sur des technologies que l'on peut qualifier sans risques de « mûres » :
- HTML (ou XHTML se faisant passer pour du HTML puisque Internet Explorer n'accepte pas de documents XHTML se déclarant comme tels) dont la dernière version date de décembre 1999.
- Un sous-ensemble de CSS 2.0 supporté par Internet Explorer (la recommandation CSS 2.0 a été publiée en mai 1998).
- Javascript (introduit par Netscape dans son navigateur en 1995).
- XML (recommandation publiée en 1998).
- Syndication Atom ou RSS (RSS a été créé par Netscape en 1999).
- Protocole HTTP (la dernière version de HTTP a été publiée en 1999).
- Identifiants universels URI (publiés en 1998)
- REST (thèse publiée en 2000)
- Services web (les premières API XML-RPC pour Javascript ont été publiées en 2000).
L'utilisation de XML sur HTTP en mode asynchrone en Javascript s'est vu décerner le nom de « Ajax ».
Le Web 2.0 est donc l'appropriation par les développeurs web de technologies âgées de cinq à dix ans pour apporter une ergonomie différente à leurs utilisateurs : si c'est une révolution, c'est une révolution dans l'utilisation des technologies et non une révolution des technologies elles-mêmes.
L'usage du Web 2.0.
Ces technologies déjà anciennes peuvent-elles vraiment permettre de remplacer les applications de bureau? Peut-on imaginer de replacer MS Office par une application Javascript s'exécutant dans un navigateur ?
A niveau de fonctionnalités équivalent, cela semble peu probable, mais les utilisateurs utilisent-ils vraiment ces fonctionnalités?
On évoque souvent la règle des 80/20 selon laquelle 80% des fonctionnalités d'une application consommeraient 20% des ressources de développement et une application « raisonnable » devrait donner la priorité à ces 80% de fonctionnalités.
En ce qui concerne les applications bureautiques, il y a bien longtemps que nous avons dépassé ce point pour inventer une nouvelle règle des 80/20 : 80% des utilisateurs utilisent moins de 20% des fonctionnalités.
Une application Web 2.0 qui applique la « vraie » règle des 80/20 en ciblant une population ou une utilisation particulière constitue une concurrence sérieuse pour les applications de bureau tout en restant à la portée des technologies actuelles.
C'est le cas d'applications comme Google Maps ou des applications de saisie de texte wysiwyg que l'on voit se développer sur le Web.
A cela s'ajoute l' attrait des applications gérant le stockage de nos données comme c'est le cas de Gmail, Flickr, del.icio.us ou autres LinkedIn : ces applications déchargent les utilisateurs de l'administration technique de leurs données et permettent un accès en mode nomade à partir de n'importe quel poste de travail.
Ce qui est vu aujourd'hui comme un avantage déterminant pour la gestion des courriels, photos, signets ou carnet d'adresse pourrait bien être vu demain comme un avantage tout aussi déterminant pour la gestion des documents bureautiques, ce qui condamnerait de fait l'utilisation des applications bureautiques telles que nous les connaissons aujourd'hui.
L'aspect social du Web 2.0.
Si la version française de la définition de Wikipédia a le mérite d'être concise, elle a l'inconvénient d'être un peu ancienne et d'ignorer le volet social du Web 2.0, développé par Tim O'Reilly lors de la deuxième conférence Web 2.0 en octobre 2005.
Complétant les exemples de sites ou concepts Web 1.0 / Web 2.0, la version anglaise donne les exemples suivants :
- Britannica Online (Web 1.0) / Wikipedia (Web 2.0),
- sites personnels (Web 1.0) / blogging (Web 2.0),
- content management systems (Web 1.0) / wikis, (Web 2.0)
- directories (taxonomy) (Web 1.0) / tagging ("folksonomy") (Web 2.0)
Ces exemples sont intéressant dans la mesure où Wikipédia, les blogs, les wikis ou les systèmes de « tagging » utilisent généralement très peu des technologies citées comme étant celles du Web 2.0.
Ils illustrent ce que Paul Graham n'hésite pas à appeler le principe de « démocratie » du Web 2.0.
Ce principe de démocratie n'est rien d'autre que la reconnaissance du fait que le réseau Internet tirera tout son potentiel du réseau humain formé par ses utilisateurs. Au réseau technique doit donc se superposer un réseau humain et ce réseau humain doit participer à l'élaboration de son contenu.
Ce n'est pas non plus une découverte puisqu'en 2000 Edd Dumbill lançait déjà WriteTheWeb, un site d'information destiné à encourager un web accessible en lecture et écriture qui remarquait que "le courant s'inversait" et que le web n'était plus à sens unique.
Cet effet réseau était également le fil conducteur de la séance plénière d'ouverture de Tim O'Reilly à la conférence OSCON 2004, un an avant de devenir le volet social du Web 2.0.
La dimension mediatique du Web 2.0.
Avec un volet technique et un volet social, le Web 2.0 ne risque t-il pas d'apparaître quelque peu dépareillé et de ressembler à un rassemblement hétéroclite de nouveautés ?
Si ces deux volets avaient été introduits dans l'ordre inverse, on pourrait voir dans le volet technique une conséquence du volet social, le caractère collaboratif des applications Web 2.0 justifiant le recours à des technologies favorisant plus d' interactivité.
Cette analyse a posteriori exclurait du Web 2.0 des sites comme Google Maps généralement considérés comme l'exemple type du Web 2.0.
Paul Graham tente de concilier ces deux volets en proposant la deuxième définition que je retiendrai ici :
"Le Web 2.0 c'est utiliser le web comme il a été conçu pour être utilisé. Les « tendances » que nous distinguons sont simplement la nature inhérente du web qui émerge des mauvaises pratiques qui lui ont été imposées pendant la bulle [Internet]"
Cette nouvelle définition du Web 2.0 n'est pas sans rappeler d'autres grands « buzzwords » et slogans liés à Internet :
- La devise du W3C est « Leading the Web to Its Full Potential... » ce que l'on pourrait traduire par « tirer du Web tout son potentiel ». Ironiquement, le Web 2.0 se fait pour le moment sans le W3C avec des technologies dont une grande partie est spécifiée par le W3C et il est tentant de voir dans la création récente d'une activité « clients web riches » une tentative rejoindre un train en marche.
- Les Services Web sont une tentative pour rendre le web accessible aux applications, ce qu'il aurait toujours du être.
- Le Web Sémantique, grand absent du Web 2.0, est pourtant le Web 2.0 vu par le créateur du Web 1.0.
- REST est la description des interactions techniques entre clients et serveurs telles qu'elles doivent être pour être efficace sur le web.
- XML est une adaptation de SGML pour faciliter l'échange de documents sur le web, ce qui aurait du être possible depuis le début (HTTP a été conçu avec cette préoccupation).
- ...
Ici encore, le Web 2.0 s'inscrit dans la continuité des « little big bangs » du web qui l'ont précédé.
Limites techniques du Web 2.0.
Continuité ne veut cependant pas toujours dire « dérivabilité » et les évolutions informatiques sont marquées par des changements de priorités provocant de brusques changement de direction.
C'est souvent le choix de ces priorités qui détermine le succès d'une technologie et si les applications web ont balayé les applications client/serveur des années 90, c'est parce que leurs priorités étaient mieux adaptées aux besoins de l'époque.
Les priorités des applications client/serveur étaient :
- la rapidité des interactions,
- la qualité des interfaces utilisateurs,
- la fiabilité en mode transactionnel
- la sécurité.
Elles ont été balayées par des applications dont les priorités sont :
- le respect de standards ouverts,
- un système d'adressage universel,
- le caractère « universel » : on peut accéder à toute application à partir de n'importe où,
- la tolérance aux pannes : un serveur ou un site peut s'arrêter de fonctionner sans conséquences globales,
- une architecture permettant la tenue en charge des applications,
- une interface utilisateur relativement cohérente permettant le partage au moyen des URIs.
Le Web 2.0 reprend à son compte certaines priorités des applications client/serveur et, pour que cela ne constitue pas un retour en arrière, il faut veiller à ce qu'il respecte les principes et priorités du Web 1.0.
Côté technique, cela peut se résumer dans le respects des principes REST entre le navigateur (et les scripts Javascript qu'il héberge) et le serveur web.
Limites ergonomiques du Web 2.0.
Le volet utilisateur peut s'avérer plus délicat.
Les applications Web 2.0 s'exécutant dans un navigateur web, il est en effet important que les utilisateurs conservent leurs repères notamment en ce qui concerne les URIs et l'utilisation des boutons « page précédente » et « page suivante ».
Souvent présenté comme un précurseur du Web 2.0, le moteur de recherche Google n'en est pas moins remarquablement « Web 1.0 »... Il est pourtant facile d'imaginer ce que pourrait être la version « 100% Web 2.0 » d'un moteur de recherche.
Ce moteur aurait un champ de saisie similaire à celui du Google actuel, avec un mécanisme de suggestion de mots clés comme celui du service béta « Google suggest ». Lorsque l'on enverrait une recherche, la page resterait fixe, la requête envoyée via HTTP de manière asynchrone et le contenu serait rafraîchi de manière fluide et rapide.
Les inconvénients d'une implémentation naïve de ce scénario seraient nombreux :
- l'URI resterait la même dans la barre d'adresse, qu'on ne pourrait donc pas copier cette URI pour l'envoyer à un ami ou la mettre dans ses favoris,
- les boutons « page précédente » et « page suivante » ne fonctionnerait pas comme l'utilisateur s'y attendrait,
- ces pages de résultats de recherche ne seraient pas accessibles aux robots des autres moteurs de recherche.
Le développeur de cette application Web 2.0 devra donc s'attacher à utiliser les technologies du Web 2.0 avec modération et lorsqu'il le fait, à contourner ce type de problèmes pour que son application soit et demeure une application web.
Tomber dans ces écueils serait d'autant plus préjudiciable au Web 2.0 que nous avons vu que ce sont précisément des considérations ergonomiques qui justifient cette mutation pour rendre le web plus convivial!
Aspects économiques du Web 2.0.
La définition de Paul Graham pour qui le Web 2.0 est un web débarrassé des scories de la bulle internet est d'autant plus intéressante que certains analystes parlent déjà d'une « bulle Web 2.0 ».
C'est le cas de Rob Hof de Business Week qui déploie une argumentation à deux niveaux.
1) Les coûts de lancement d'une startup Internet n'ont jamais été aussi bas, ce que Joe Kraus (JotSpot) explique de la manière suivante :
- les ordinateurs sont bon marché,
- les logiciels d'infrastructure sont gratuits,
- la main d' oeuvre est globale,
- le marketing Internet est très efficace pour les marchés de niche.
2) Si les montants investis pas les sociétés de capital risque n'ont pas progressé lors des derniers mois, la baisse des coûts de lancement signifie que le nombre de projets financés a nettement augmenté. De plus, cette baisse de coût met le financement de startup à la portée d'investisseurs occasionnels non recensés dans les statistiques.
Rob Hof remarque également que de nombreuses startups du Web 2.0 ne sont créées que pour être vendues à court terme, sans chercher à proposer aucun modèle économique viable.
Constituée d'une multitude de bulles plus fines que celle de la « bulle Internet », une « bulle Web 2.0 » semble belle et bien être en préparation.
En matière économique comme en matière technique la règle d'or du Web 2.0 est donc de ne pas oublier les enseignements du Web 1.0.
Web 2.0 = Data Lock In ?
S'il faut un modèle économique viable pour le Web 2.0 quel peut-il être?
Commentant l'évolution de l'informatique depuis ses origines, Tim O'Reilly fait le constat que nous sommes progressivement passés d'une ère du « hardware lock in » où l'informatique était verrouillée par les constructeurs d'ordinateurs à une ère de « software lock in » où les éditeurs de logiciels faisaient la loi pour entrer avec Internet dans une l'ère du « data lock in ».
Dans cette nouvelle ère, illustrée par le succès de sites comme Google, Amazon, ou eBay, ce sont les entreprises qui détiennent le plus de données qui mènent le jeu et leur principal patrimoine est constitué du contenu donné ou prêté gratuitement par leurs utilisateurs.
Lorsque vous confiez la gestion de vos mails à Google, que vous publiez un commentaire ou faites un simple achat sur Amazon, que vous confiez vos photos à Flickr ou vos signets à del.icio.us, vous vous liez à ce site de manière d'autant plus durable qu'il ne vous propose généralement pas de moyen simple de récupérer vos données et vous échangez un service contre un enrichissement des données qu'il gère.
De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer la « fausse liberté » offerte par le Web 2.0 face à laquelle les utilisateurs doivent rester vigilants :
- en n'échangeant leurs données que contre des services réels,
- en examinant les conditions d'utilisation des sites pour connaître les droits qu'ils cèdent en échange de ces services,
- en exigeant des moyens techniques qui leur permettent de récupérer ces données en s'appuyant sur des standards ouverts.
Pour finir
Si vous avez bien compris, le terme Web 2.0 désigne une réalité qui n'existe pas d'un point de vue technologique.Ce buzzword est l'amalgame arbitraire d'évolutions hétérogènes et disparates du web inventé par des petits malins qui ont su y conceptualiser la prochaine révolution du net, avec le tintamarre qui va avec.
Comme quoi, pour réussir dans ce monde des nouvelles technologies, il ne s'agit plus de combiner des zéros et des uns pour créer des outils utiles et complexes.Il suffit de combiner l'évocation d'une réalité ultra-complexe avec des concepts binaires : ce qui est Web 2.0, ce qui ne l'est pas. Et qu'importe les réelles utilités, praticités ou rentabilités des technologies évoquées.
Cela dit, ce sont les seuls termes que les évangélistes, marketeurs, journalistes, financiers et autres leaders d'opinions arrivent à peu près à comprendre. Bientôt l'histoire officielle ne retiendra que le discours et la vision vulgaire de ces batteleurs de foire : elle finira à force d'encombrement médiatique par devenir vraie, ne laissant aux véritables inventeurs et innovateurs que leurs yeux pour pleurer.C'est souvent celui qui parle le plus, le plus simplement et le plus fort, qui a raison.
Si le message du Web 2.0 est un message d'espoir, il s'adresse aux financiers.
Définitions du Web 2.0 par Wikipédia [en français] [en anglais]
- Le Web 2.0 vu par Paul Graham (en anglais)
- Thèse de Roy Fielding (en anglais)
- Analyse de Rob Hof (en anglais)
- Une fausse liberté par François Joseph de Kermadec (en anglais)
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