Puisque les blogs sont trop souvent l’expression de pensées superficielles, mal écrites, aux concepts trop assurés, aux affects trop prévisibles, aux percepts sans nuances, aux débats ou aux histoires sans importances. Travaillons à la différence, à la nuance, à une expression blogosphérique délicate et authentique. Parce que réellement et viscéralement ressentie. Parce qu’affranchie de tout formatage ou de contrainte de temps.
René Char passait plusieurs mois à observer un simple verre d’eau avant de pouvoir pondre un bref poème. Passer un mois à produire un post est en comparaison une charge plus modeste.
Ce post porte sur la description sur ma chanson préférée.
Le choix peut paraître difficile car souvent les chansons sont des fragments d’existence. Des blocs d’instants heureux. Des madeleines de Proust à la portée de ceux qui n’aiment pas Proust ou qui n’aiment pas les madeleines.
Mais bon, pour ma part, le choix de ma chanson préférée a été vite fait.
Cette chanson est une anomalie.
Issue d’un album assez violent, intense, indéchiffrable. Bref, difficile à écouter. Elle apparaît au milieu de ce flux strident et agressif comme une respiration. Comme un soulagement.
C’est donc une question de contexte. Comme souvent.
Mais son étrangeté ne s’arrête pas là. A mi-chemin entre récitation et chanson. La chanteuse nous parle. Plus exactement, elle nous marmonne.
Dans tous les courants musicaux modernes, les voix sont l’expression d’une perfection : clinquantes, agressives, douces, joyeuses voire d’une imperfection savamment calculée : rauques, déchirées par toutes sortes de drogues ou désespérées.
Non, dans ce cas présent, la voix est tout simplement fatiguée.
C’est une voix qui n’a plus la capacité de bien articuler.
La musique derrière est elle aussi fatiguée : les instruments se laissent aller à une certaine maladresse calculée, un peu comme Neil Young qui tripatouille sa gratte sur la BO de Dead Man. C’est une musique à l’état naturel qui semble improvisée par sa construction à la fois simple, répétitive mais déstructurée.
Ce qui est beau et inédit dans cette chanson, c’est donc le style fatigué d’un fragile filet de voix accompagné d’une guitare aléatoire qui exprime tristesse et plaisir, colère et douceur, désespoir et espoir, contrôle et abandon de soi.
Cette chanson est donc une lutte par-delà la lutte.
Elle semble traduire le résidu de résistance qui peut nous rester lorsqu’on a l’impression d’avoir épuisé ses ultimes ressources.
Il arrive souvent que les actes créatifs soient le fruit conjoint d’une extrême fatigue et d’une volonté de ressaisissement. Un acte désespéré de survie. Un moment où l’on sort un peu de soi-même pour arriver à dire des choses fondamentalement personnelles, intimes et profondément enfouies. Une sorte de miracle.
C’est pour cela que j’aime le laisser-aller de cette chanson. Dans ces quelques minutes de marmonnements, il y a plus d’amour, de beauté, de vérité, de vécu que dans l’œuvre complète de la plupart des chanteuses connues et reconnues de nos jours.
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Par plaisir de frustrer mon lectorat, le titre de cette chanson restera secret.
J’appelle le sieur Jo pour qu’il nous parle de sa chanson préférée, sans en révéler son nom.
Update : rajoutons dans le jeu la très analytique et délicieuse flo et deux collègues qui auront sûrement plein d'autres choses à faire cette semaine de plus urgent et de plus important : Damien et Arnaud [Non, pas Gromain, le bouec a déjà des goûts vestimentaires bizarres et un style rédactionnel approximatif, je ne veux surtout pas connaître ses vrais goûts musicaux].
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